Grizmine l’Ecaflip sortit sur le seuil de la taverne ; il referma la lourde porte en bois dont les gonds grincèrent. Il fit quelques pas à l’extérieur. Des bribes d’une gigue échappées de la taverne parvenaient encore à ses oreilles, et égayaient la moiteur de cette belle soirée d’été. La rivière toute proche laissait entendre le murmure de ses eaux, et de temps à autre un bourdonnement furieux agitait les alentours, signe que des Moskitos devaient marauder non loin de là.
Grizmine s’étira. Toute sa journée, il l’avait passée à parier avec les habitués de la taverne. Il avait allégé les bourses des aventuriers en quête de pitance, de pintes et de réjouissances. Les Chopines du Hasard jouaient un jeu décidément bien rentable ! S’enrichir sans risquer autre chose que quelques kamas correspondait parfaitement à sa philosophie. Il ronronna de satisfaction. Et, comme la nuit tombait,il alluma quelques torches à l’extérieur de la taverne.
Alors qu’il s’apprêtait à retourner à l’intérieur, il entendit un cliquetis métallique suivi d’halètements poussifs. Il se demanda un instant si ce n’était pas une patrouille de la garnison d’Amakna puis se ravisa. Ça ne ressemblait pas aux soldats d’Amakna. Il scruta l’obscurité et vit les silhouettes d’une bande d’aventuriers se dégager de la pénombre. Lorsque le premier d’entre eux parvint dans la lumière des torches, Grizmine s’écria :
« Garathgoul ! Nom d’un triple six ! Qu’est-ce qui t’amène à cette heure ?!
— Mon vieux Grizmine, lui répondit l’Ecaflip hors d’haleine, je sais que Metag passe ici de temps à autre. L’as-tu aperçu ?
— Non, pas ce soir !
— Tant pis ! Je lui enverrai un Tofu voyageur pour lui donner des nouvelles ! Figure-toi que nous sommes en quête des créatures légendaires qui siègent dans les Donjons du Monde…
— Mmh, la fameuse quête de Metag, qui promet d’être hautement récompensée si elle est menée à bien !
— Oui ! Et la bonne fortune est avec nous ! Nous revenons du Labyrinthe du Dragon Cochon, et nous avons accompli un exploit ! »
Quelques secondes s’écoulèrent. Garathgoul s’épongea le front puis tira son épée du fourreau pour la montrer au vieil Ecaflip. Grizmine réprima un mouvement de recul, mais ne put empêcher ses moustaches de friser…
— Garathgoul, mon frère, ça empeste ! Quel est ce fumet ? »
La lame de Goultard, fidèle épée de l’Ecaflip, luisait à la lueur des torches, maculée d’un liquide épais et écarlate.
— Du sang ! dit Garathgoul. « Du sang de Dragon Cochon ! ».
Grizmine leva les yeux sur Garathgoul, stupéfait. Garathgoul ajouta dans un souffle : « Nous avons terrassé le Dragon Cochon ! On est allé le trouver dans son antre. On l’a attiré au milieu de notre groupe, on l’a attaqué au corps à corps, à l’épée, comme des braves, tandis que notre bonne fée Gremish lui tirait le portrait. Mais ça, ce n’est rien ! Nous avons aussi un Dofus !»
D’autres aventuriers arrivaient un par un. Trepanem Pal le Iop, Ogmeiser l’Osamodas, Wanoklox le Xélor, Dwanlaposh l’Enutrof, Flaurwian la Sadidette et Gremish l’Eniripsa sortirent de l’ombre. Ils discutaient vivement. Ogmeiser était visiblement épuisé lui aussi :
— Og’, mes bottes me font mal… se lamentait Flaurwian.
— Forcément avec toutes ces dorures et ces pierres, c’est mignon mais pas très confortable ! persifla Gremish.
— Toi la fée, t’es jalouse ! Et puis d’abord, les Jolies Bottes Dorées d’Ogmeiser, ce n’est pas pour des pieds fragiles ! A moi, elles me vont ! dit l’Osamodas.
Gremish se renfrogna.
— Allons ! dit Grizmine, venez nous conter votre exploit à l’intérieur de la taverne ! C’est ma tournée !
Un plouf sonore retentit, retenant le groupe à l’extérieur. Trepanem Pal et Wanoklox le Xélor rejoignirent leurs compagnons.
—Je parie mes bottes que c’est Dwanlaposh qui balance ses cuirs de Cochon de Lait dans la rivière, clama Ogmeiser.
— Tenu ! répliqua Grizmine en se lissant la moustache.
— Il n’a pas arrêté de se plaindre qu’il était trop chargé ! dit Ogmeiser en ricanant. Même lorsqu’il a récupéré le Dofus, tout ce qu’il a trouvé à dire, c’est qu’il pesait sur ses pauvres jambes !
De longues secondes s’écoulèrent et Dwanlaposh arriva enfin. Ogmeiser commença à rire, mais Garathgoul l’interrompit : « Tu vas bien Dwanlaposh ?
— Parfaitement bien, j’ai juste voulu me délester en chemin des quelques cuirs qui chargeaient ma besace. J’en ai profité pour jeter également le crâne du Dragon Cochon. Trop lourd ce crâne !
— Gagné ! souffla Ogmeiser à Grizmine.
Si l’Ecaflip tiqua, il n’en montra rien.
« Mais… reprit Garathgoul, tu as gardé l’essentiel, n’est-ce pas ?
— Tu me prends vraiment pour le dernier des Gobelins mon vieux Garathgoul, regarde ! »
Fier et sûr de lui, Dwanlaposh brandit sous les yeux de ses compagnons… le crâne du Dragon Cochon !
« Je crains le pire… dit Gremish.
— Et le Dofus ? Qu’as-tu fais du Dofus Turquoise ? Ne me dis pas que tu l’as…
— Jeté ? C’est bien possible ma foi ! »
L’Enutrof dit d’une traite : « Dans l’obscurité, et avec toute cette précipitation ! Suffit d’aller le chercher, il ne doit pas être bien loin !
— Tu viens de perdre tes bottes ! » glissa Grizmine à Ogmeiser.
Un second plouf retentit alors. Quelques instants plus tôt, cinq compagnons en portaient un sixième à bout de bras vers la rivière et ils le lancèrent en chœur dans l’eau. Après cela, ils partirent ensemble boire une bière. Ils avaient perdu un Dofus, et Ogmeiser ses bottes, mais la nuit était si belle ! Recueillir les croquis de dix des créatures légendaires du Monde était déjà un exploit… mais nos héros ne s’arrêteraient pas là !